Le colonel prit place derrière le bureau, observant le capitaine par-dessus la monture de ses lunettes.
« Que s’est-il passé, exactement ?
– Je l’ai déjà expliqué.
– Pas à moi, Capitaine. »

Ermengard grommela quelque chose et s’enfonça dans son siège. Les bras croisés sur la poitrine comme un enfant prêt à se défendre après une bêtise, le commandant de la Navigatrice toisa son supérieur sans se détourner, le regard farouche.
« Ma Seconde a été enlevée, je suis allé la chercher.
– Sans respecter la procédure.
– Quelle procédure ? Mener l’enquête, interroger son père, remonter la piste, tendre une embuscade à ses ravisseurs et la sauver ? J’ai fait tout ça.
– Prévenir le Maelström, Estrelaint. Prévenir le Maelström. »
Le colonel avait détaché les mots comme s’il s’adressait à un crétin. Ermengard sentit son humeur passer de « chacal » à « bombo ».
« Ce n’était pas un enlèvement relatif à son rang au Maelström… commença-t-il d’une voix sourde.
– Donc vous n’aviez pas à prendre l’initiative des opérations, Estrelaint, mais à soumettre l’enquête aux autorités compétentes.
– Et nous aurions perdu un temps précieux. Dame Niunaglwyn serait morte exécutée.
– Au lieu de cela, ce sont ces gens qui l’ont été.
– La belle affaire ! On n’en a tué que deux, et c’était des criminels. Le commanditaire est toujours en vie : vous pouvez lui faire un procès si vous voulez.
– Ce n’est pas la question, Estrelaint ! »
Cette fois, le colonel avait haussé la voix. Ermengard se tendit – non par peur, certainement pas, mais pour anticiper la déferlante à venir et pour y répondre de manière adaptée.
« Vous êtes censé représenter le Maelström. Vous n’êtes pas un aventurier, et vous n’êtes plus un pirate. Vous ne pouvez pas agir à votre guise et verser le sang comme bon vous semble ! »


Avec lenteur, Ermengard se leva. En bon Elézen, il surplombait le Hyurois de plus d’une tête, et encore plus lorsque celui-ci était assis. Il n’eut pas le moindre scrupule à user de cet avantage. Son regard de braise plongea dans celui du colonel, tandis que ses deux mains s’appuyaient sur le bureau pour lui permettre de se pencher en avant.
« Mon colonel, vous oubliez une chose importante : mon vaisseau ne vous appartient pas, pas plus que moi, ni mes matelots. Venez me dicter ma conduite, et je me retire de la flotte pour me déclarer civil. Le Maelström pourra alors dire adieu à ce qu’il y a dans la sainte-barbe de la Navigatrice.
– Vous n’en avez pas le droit, Estrelaint. C’est la propriété du Maelström.
– Vous croyez ? La Navigatrice m’appartient, ainsi que tout ce qu’elle contient. Mes conditions étaient très claires. Tout ce qu’elle contient.
– Nous pouvons vous le retirer.
– Je vous mets au défi d’y parvenir. »
Un silence, pesant et chargé d’électricté, tomba sur le bureau. Le colonel soutint le regard du capitaine, qui ne se détourna pas. Plutôt mourir que se détourner de lui. Le Maelström pouvait bien monter à bord : les glyphes de Noirterel tiendraient. Rien ne sortirait du navire s’il ne l’autorisait pas. Le Hyurois, tout auréolé de ses médailles et de son autorité, ne pouvait rien contre cela, pas plus qu’il ne pouvait revenir sur l’accord passé huit ans plus tôt.
Le colonel finit par baisser les yeux, un bref instant. Ermengard sut qu’il avait gagné.
« Ne venez pas me dire comment gérer mes hommes et encore moins me demander de ne pas intervenir quand ils sont en danger. Mon équipage
passera toujours avant tout le reste.
– Votre Seconde encore plus, n’est-ce pas, Estrelaint ? »
Ultime petite perfidie de l’homme à terre. Avec un sourire vaguement écœuré, l’Elézen se redressa. Son regard s’abaissa sur le Hyurois puis, sans un mot, il se détourna de lui pour quitter la pièce. Le colonel ne l’arrêta pas.

Trame : « Il faut sauver dame Niunaglwyn ! », par Lomelinde (Bhaldwyb)